Conflit d'intérêts à l’Élysée ? Quand une ex-lobbyiste du vin permet la « clarification de la politique de santé » - Réseau de Périnatalité de Normandie

Conflit d’intérêts à l’Élysée ? Quand une ex-lobbyiste du vin permet la « clarification de la politique de santé »

par / vendredi, 02 février 2018 / Publié dans ACTUALITÉS PROFESSIONNELLES

En mai 2017, 19 associations et acteurs de santé publique avaient tiré la sonnette d’alarme suite à la nomination à l’Élysée de l’ancienne déléguée générale de Vin et Société, Audrey Bourolleau. Ils alertaient sur le risque de conflits d’intérêts qui pourraient survenir au détriment de la santé publique [1]. Huit mois plus tard, ce risque est confirmé alors que la filière vin se félicite du rôle joué par l’ex-lobbyiste pour aider la filière à obtenir ce qu’elle « n’avait jamais obtenu précédemment ».

Attendu dans le cadre des États généraux de l’alimentation (EGA), les professionnels du vin ont remis le 29 janvier 2018 leur plan de filière. Depuis le 15 décembre, ils refusaient de le transmettre au Ministre de l’Agriculture tant qu’ils n’auraient pas obtenu une « clarification de la politique de santé publique à l’égard du vin ». En cause, la Stratégie nationale de santé 2018-2022 qui inclut l’alcool – et non le vin pris isolément – dans les « substances psychoactives licites ou illicites » au même titre que le tabac [2]. Une vérité scientifique alors que l’alcool est à l’origine chaque année en France de près de 50 000 décès prématurés et la 2ème cause de mortalité routière.

Grâce à l’action de Audrey Bourolleau, « conseillère agriculture, pêche, forêt et développement rural » du Président de la République, ils se félicitent aujourd’hui d’avoir eu gain de cause et même au-delà [3]. Selon l’un des porte-paroles de la filière, un courrier du Président de la République aurait répondu à leurs attentes et notamment d’obtenir « deux points majeurs, que nous n’avions jamais obtenu précédemment ». En l’occurrence, la reconnaissance des acteurs du vin comme des acteurs de prévention et donc un acteur légitime auprès du ministère de la Santé.

Si nous ne remettons pas en cause le droit des producteurs d’alcool à faire valoir leurs arguments sur leur situation économique ou les normes des productions, nous alertons sur le danger d’en faire des acteurs de prévention. En effet, de par leurs intérêts, ils ne peuvent avoir à cœur de dire toute la vérité sur les risques liés à la consommation d’alcool. Au contraire, le passé a déjà montré qu’ils poursuivaient une stratégie d’instillation du doute visant à décrédibiliser les preuves scientifiques et les recommandations des autorités de santé internationales. C’est la stratégie si bien éprouvée par les fabricants de tabac, aujourd’hui largement connue et dénoncée.

Parmi les mesures du plan annoncé, la mise en place d’« e-étiquettes » pour informer les consommateurs démontre là encore toute l’ambigüité des producteurs d’alcool et de leurs prétendues actions de prévention. Il est prouvé que, malgré l’usage répandu des nouvelles technologies, les consommateurs utilisent rarement les informations disponibles ailleurs que sur l’étiquette : selon une étude RAHRA de l’Union Européenne, seulement 24,7% des personnes interrogées déclarent rechercher en ligne des informations sur les ingrédients ou additifs de leurs boissons alcoolisées. Un rapport de l’Organisation Mondiale de la Santé, publié en juillet 2017 [4], souligne par ailleurs que ce sont les étiquettes qui doivent être les premières sources d’information dans la mesure où la bouteille et son étiquette peuvent être observées et éventuellement discutées avant, pendant et après la consommation.

En faisant passer cette mesure pour une réponse à l’évolution numérique, la filière viticole reprend à son compte une solution que l’on sait déjà inadaptée, au détriment de l’information réelle des consommateurs. Ce faisant, ils espèrent éviter l’adoption d’une règlementation plus contraignante qui pourrait voir le jour au niveau européen. Le Commissaire européen à la santé s’y est en effet engagé dans le cas où les producteurs d’alcool ne répondraient pas d’eux-mêmes, de manière satisfaisante, aux attentes en matière d’étiquetage des boissons alcoolisées.

En tant qu’associations de santé publique, nous alertons sur les risques, pour la santé des populations, de cette nouvelle tentative de mettre à bas, avant même qu’elles ne soient annoncées, les mesures de prévention qui pourraient voir le jour dans le cadre de la Stratégie nationale de Santé et du futur Plan gouvernemental de mobilisation contre les addictions en cours d’élaboration par la MILDECA.


[1] 26 mai 2017 – Une lobbyiste du vin à l’Élysée : les acteurs de santé expriment leur vive inquiétude – cliquer ici

[2] La filière entame un bras de fer avec les pouvoirs publics – cliquer ici

[3] Tweet de Vitisphère le 30/01/2018 : « La clarification de la politique de santé @EmmanuelMacron obtenue suite à une mise au point de la filière #vin avec @A_Bourolleau ex-déléguée @vinetsociete »

[4] Rapport OMS (2017) : Alcohol labelling – A discussion document on policy options (2017) – cliquer ici

Signataires :

Experts de santé publique :

  • Gérard Dubois, professeur de santé publique, Académie de médecine
  • Serge Hercberg, épidémiologiste de la Nutrition, Université Paris XIII / Inserm
  • Catherine Hill, épidémiologiste, Institut Gustave Roussy
  • Albert Hirsch, professeur honoraire de médecine, Université Paris VII

Pour en savoir plus :

Communiqué de presse ANPAA (2018) : Conflit d’intérêts à l’Élysée ? Quand une ex-lobbyiste du vin permet la « clarification de la politique de santé » – cliquer ici

Source : (cliquer sur l’image pour accéder au lien)

Espace presse – Communiqués et dossiers – 2 février 2018 – Conflit d’intérêts à l’Élysée ? Quand une ex-lobbyiste du vin permet la « clarification de la politique de santé »

Tagged under:
TOP